A personnage légendaire...

... armoiries imaginaires !

J'ai récemment acquis le très connu "Blason des armoiries" de Hiérosme de Bara édité en 1581, mais largement réédité par Jean de Bonnot dans les années 70 (c'est préférable pour ma bourse...).

Cet ouvrage est un bon reflet de la "mode héraldique" qui n'est pas spécialement apparue à la Renaissance, mais qui y a connu un bel essort : créer des armoiries à des personnages qui... n'en ont jamais eu ! C'est ainsi que, de longue date, existaient déjà les armoiries de Dieu, du Diable, du Christ (ordre non hiérarchique, notez bien...), mais aussi de Jules César, Charlemagne, Hercule ou encore la Reine des Amazones, Penthésilée ! Purs jeux intellectuels et passe-temps de lettré, ces créations répondent aussi probablement à une certain logique : comment des personnages si importants de l'Histoire pourraient-ils se passer d'armoiries, à une époque où le plus obscur savetier peut s'en doter ?! Certaines productions artistiques y sont aussi pour quelque chose : au 14e siècle déjà, Jacques de Longuyon compose un roman narrant les exploits guerriers de neuf héros légendaires, dits les "Neuf Preux", incarnant les grandes valeurs de la chevalerie : on y retrouve Hector de Troie, Jules César et Alexandre le Grand (héros païens), Josué, le Roi David et Judas Macchabée (héros de l'Ancien testament), et enfin le Roi Artus, Charlemagne et Godefroi de Bouillon (héros chrétiens). Cette oeuvre, également mise en scène par la suite, inspirera de nombreux héraldistes...

J'en ai donc extrait quelques unes que j'ai pris soin de colorier selon la définition héraldique que l'auteur en donnait. Suivez le guide...

Un légendaire Prêtre Jean règnerait, au Moyen Age, sur un royaume chrétien situé en Afrique ou en Asie (les avis divergent), situé peut-être entre Babylone et l'Inde...

Il n'en faut pas plus pour le qualifier dans l'ouvrage de De Bara d' "Empereur des Indes et souverain de quarante-deux royaumes" et lui fournir des armoiries "d'argent à un Christ d'or crucifié de gueules accosté de deux martinets du même" :

Jason l'Argonaute "possède" des armoiries plus précises, dans la mesure où elles font référence à la saga du héros antique :

On y voit la célèbre Toison d'or que Jason et les Argonautes vont ramener à Iolcos, mais également de curieux petits motifs à tête d'homme :

"de gueules semé de dents de dragon sommées d'une tête de guerrier d'argent, à une Toison d'or accornée d'azur, posée en pal et brochant".

Parmi les nombreuses épreuves que doit surmonter Jason, une d'elles consiste à semer des dents de dragon dans un champ labouré par des taureaux furieux ; de ces "graines" poussent des guerriers qui se ruent sur Jason, ce dernier les éliminant sans coup férir...

Le Roi Artus (ou Arthur) ne se présente plus ...

... et sa quête permanente du Saint Graal à la tête des Chevaliers de la Table ronde, non plus...

Aussi a-t-il bénéficié d'armoiries d'une grande simplicité, "d'azur à treize couronne d'or, rangées quatre, quatre, quatre et une en pointe", ce qui laisse à penser que l'héraldiste a voulu évoquer la haute mission mystique de la noble assemblée par un paralèlle avec la Cène où se rassemblent le Christ et douze apôtres, l'azur ne l'oublions pas non plus, étant la couleur héraldique de la fidélité :

Poursuivons pour finir avec deux énigmatiques compagnons du Roi Arthur, deux chevaliers de la Table ronde dont les patronymes sont autant d'invitation au voyage qu'au mystère :

Le Vieux chevalier des creux abîmes dont on a peine à imaginer et l'aspect et les grands périls qu'il encourt, porte "de pourpre à trois heaumes d'argent", et son compagnon d'armes, le Chasseur d'outre les marches, aussi dénommé Chasseur de Gallone, a reçu "de gueules au rencontre de boeuf d'argent accorné d'azur et sommé d'une couronne saxonne d'or" :

Inutile de préciser que les autres chevaliers à la notoriété plus évidente (Perceval, Galahad, Yvain, Lancelot...) ont aussi leurs armoiries.

Comments

[Daniel Juric]

C'est assez amusant de voir des "armoiries" attribuées aux chevaliers de la Table Ronde (Ve & VIe siècle), alors qu'elles sont apparues, telles que nous les connaissons, vers le milieu du XIIe siècle! D'ailleurs Jérôme de Bara n'a pas hésité d'en attribuer à ... Adam et Eve!!! Peut-être de la rétroactivité?